Le Point.fr- Publié le 23/08/2012 à
23:59- Modifié le 24/08/2013 à 00:00
"L'agronome veut remercier le roi de
lui avoir prêté un champ de manoeuvre à Neuilly pour y planter le légume
anti-famine jusque-là méprisé des Français.
"Ils n'ont pas de pain ? Qu'ils
mangent de la brioche !" Tout le monde sait, aujourd'hui, que
Marie-Antoinette n'a jamais prononcé cette phrase inventée par Rousseau. En
revanche, scoop mondial, nous pouvons vous révéler que le 24 août 1786, recevant
en compagnie de son époux Antoine Parmentier, la reine pense très fort :
"Ils n'ont pas de pain ? Qu'ils mangent de la patate !" Car le couple
royal n'hésite pas à mouiller sa chemise - de dentelle - pour aider l'agronome
à faire la promotion de la pomme de terre auprès des Français très méfiants.
Ce jour-là, le pharmacien-agronome
offre à Louis XVI et à
Marie-Antoinette les premières fleurs de pomme de terre cueillies dans le champ
mis à sa disposition par le roi de France, dans la plaine des Sablons, à
Neuilly. Les flashes crépitent. Jean-Pierre Pernaut
fait un direct sur TF1. Le roi est
d'excellente humeur. "Donnez-moi la main et embrassez la reine !"
lance-t-il à Parmentier, qui n'en demandait pas tant. Sur ce, Louis XVI détache
une fleur pour la mettre à sa boutonnière, et en fixe une autre sur le chapeau
de Marie-Antoinette. Madame de Fontenay en est verte de jalousie...
Le jour même, on sert à la table
royale un plat de "parmentières". Louis XVI possède peut-être tous
les défauts de la terre, mais il a au moins la qualité de croire en la science.
Avant beaucoup d'autres, il a compris la place capitale que peut prendre la
pomme de terre dans l'alimentation en sauvant ses sujets des famines
récurrentes. Et dire que pour le remercier, les Français lui couperont la tête.
"Comment ne pas en avoir gros sur la patate après ça..."
s'exclame Laurent Ruquier
La
pomme de terre aux cochons
À la fin du XVIIIe siècle, près de 250
ans après son introduction en Europe, la pomme de terre n'a toujours pas bonne
presse en France. Les paysans regardent d'un oeil torve cette plante qui
s'épanouit sous terre, dans le domaine du diable, et pas sous l'oeil de Dieu
comme les céréales. Sans compter qu'elle appartient à une famille de plantes
légèrement toxiques. En Europe, ce sont les Irlandais qui l'adoptent les
premiers à grande échelle. En fait, ils n'ont pas le choix. C'est ça ou crever
de faim, car les Anglais, très fair-play comme d'habitude, accaparent tout le
blé irlandais. Peu à peu, la plante conquiert l'Autriche, l'Allemagne, la
Suisse, et même l'est de la France
À la fin du XVIe siècle, le célèbre
agronome Olivier de Serres la cultive dans le Vivarais (aujourd'hui,
l'Ardèche). Puis, elle gagne le Lyonnais, le Dauphiné et la Franche-Comté. Mais
les paysans la réservent exclusivement à leurs cochons, l'assimilant à une
herbe de sorcières. Ils la croient capable de transmettre la lèpre. Et
l'Église, qui se désespère des grandes disettes, pensez-vous qu'elle incite à
sa culture ? Pas du tout. Dieu n'aimerait-il pas les frites ? Ce n'est pas le
problème, c'est plutôt une simple question de pognon : la patate rapporte une
moindre dîme à l'Église ! Aussi, les curés n'hésitent pas à la débiner,
rappelant dans leurs prêches que la pomme de terre n'est pas mentionnée dans la
Bible.
Levée
de l'interdiction à la consommation
Pharmacien des armées, Antoine
Parmentier découvre la pomme de terre lors de son emprisonnement en Westphalie
durant la guerre de Sept Ans (1756-1763). En effet, les sympathiques Allemands
nourrissent alors leurs prisonniers français avec la même bouillie de pommes de
terre qu'ils servent à leurs cochons. C'est le meilleur service qu'ils
pouvaient leur rendre, car ceux-ci mangent à s'en faire péter la
sous-ventrière.
En 1771, quand l'Académie des sciences
de Besançon lance un concours intitulé : "Quels sont les végétaux qui
pourraient être substitués en cas de disette à ceux que l'on emploie
communément et quelle en devrait être la préparation ?" Parmentier
s'empresse de remettre un mémoire pour souligner les vertus de la pomme de
terre. Il gagne le concours haut la main en préconisant la fabrication de pains
de pomme de terre. En 1772, juste après sa nomination comme apothicaire en chef
de l'hôtel des Invalides, la Faculté de médecine de Paris déclare la pomme de
terre sans danger, ce qui fait lever l'interdiction du Parlement de Paris qui
frappait sa consommation depuis 1748.
Champs
gardés par des soldats
Parmentier se met à cultiver la patate
sur un terrain loué à des religieuses près des Invalides. Il organise des
dîners où sont invités des scientifiques, tels Benjamin Franklin et Lavoisier,
à qui il propose une vingtaine de plats à base des tubercules. Il publie même
un livre de recettes en 1777 intitulé "Avis aux bonnes ménagères des
villes et des campagnes sur la meilleure manière de faire leur pain". Mais
cela ne suffit pas à convaincre les Français de mettre la patate sur leur table
et les paysans de la cultiver. En 1785, expulsé par les religieuses, Parmentier
cherche un nouveau terrain pour planter ses tubercules. Louis XVI, qui soutient
les efforts des agronomes en faveur de la pomme de terre, lui octroie deux
arpents de terre dans la plaine des Sablons, à Neuilly, un site autrefois
utilisé comme champ de manoeuvre par les troupes. Le terrain est pauvre, mais
cela n'est pas gênant pour la culture des pommes de terre. C'est alors que Parmentier a une idée
de génie : pour faire croire que ses "parmentières" sont un mets de
choix réservé à la table du roi et des plus hauts seigneurs, il les fait garder
par des soldats durant le jour. Seulement, il prend soin de supprimer toute
garde pendant la nuit. Du coup, de petits voleurs s'introduisent dans le champ
pour voler les pommes de terre si précieuses. C'est ainsi que, peu à peu, la
pomme de terre acquiert ses lettres de noblesse. Lors de la première floraison,
Parmentier offre donc un bouquet des magnifiques fleurs blanches au roi et à la
reine. Lors de la Révolution, Parmentier est d'abord regardé d'un oeil
suspicieux en raison du soutien de Louis XVI. Peu à peu, il regagne la faveur
du peuple et lance une deuxième révolution, celle qui porte la pomme de terre
précieuse sur la table des Français." Le Point
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