La maison de Camus, 93, rue de Lyon, quartier Belcourt. © Luc Demarchi |
Le rendez-vous
manqué
Par Luc Demarchi, le 7 mars 2018
"Internet foisonne de
sites, de blogs, et autres espaces de discussion consacrés à Albert Camus. De
même, une multitude de spécialistes : philosophes, écrivains, professeurs,
critiques ou historiens, ont décortiqué l’œuvre et analysé l’écrivain. C’est la
raison pour laquelle je ne me hasarderai pas sur ce terrain réservé aux
érudits.
Albert Camus a vécu une partie de son
enfance au numéro 93 de la rue de Lyon, dans le quartier de Belcourt à Alger.
Les anciens, autant dire nos familles, l’ont connu et se sont parfois liés
d’amitié avec lui. Ils ont fréquenté, ensemble, l’école de la rue Aumerat ou
ont appartenu à la même équipe de football.
Être Belcourtois
signifiait appartenir à une famille humble, pour ne pas dire pauvre. La
destinée d’une vie d’ouvrier toute tracée par avance, un quotidien fait du
plaisir simple de la mer et du soleil, mais aussi de préoccupations financières
en fin de mois, voilà ce qui rapprochait tout ce petit peuple. Albert était un
enfant parmi les autres, mais pas tout à fait un enfant « comme les
autres ». Son instituteur, M. Germain, a rapidement décelé chez lui le
talent, le génie naissant de l’écriture et de la réflexion. Il est parvenu à
convaincre sa mère de lui faire poursuivre des études, une mère veuve et
illettrée qui devait « faire des ménages » à Belcourt pour faire
vivre sa petite famille.
Aujourd’hui encore,
ceux que l’on appelle les pieds-noirs sont admiratifs et reconnaissants envers
cet homme qui a écrit son amour de l’Algérie comme personne parmi nous ne
pourra jamais le faire. Lu et relu, dix fois, cent fois, si Le Premier
Homme nous bouleverse toujours autant, c’est que nous puisons dans
cette œuvre miroir le souvenir même de notre enfance.
Belcourtois de la
dernière génération, si nous n’avons pas pu le connaître, ni même le
rencontrer, il nous a été donné parfois de sentir sa présence furtive ou
tragique. Dans les premiers jours de 1960, lors de sa mort, les caméras de
télévision se sont invitées parmi les élèves éberlués d’une classe primaire de
l’école Aumerat – élèves dont je faisais partie – puis dans l’entrée de son
immeuble.
Dans L’Envers
et l’Endroit, Camus écrit à la troisième personne : « Ce
quartier, cette maison ! Il n’y avait qu’un étage et les escaliers n’étaient
pas éclairés. Maintenant encore, après de longues années, il pourrait y
retourner en pleine nuit. Il sait qu’il grimperait l’escalier à toute vitesse
sans trébucher une seule fois. Son corps même est imprégné de cette maison. Ses
jambes conservent en elles la mesure exacte de la hauteur des marches. Sa main,
l’horreur instinctive, jamais vaincue, de la rampe d’escalier. Et c’était à
cause des cafards. »
Imprégnés de notre
maison, de nos rues, de notre quartier, nous le sommes à jamais. Cette odeur de
cave qui régnait dans ces petits immeubles où les cafards étaient rois, ces
mots réveillent en nous tout un passé, tout un vécu. Ainsi, nous sommes tous un
peu des Camus, mais comme des magiciens dépourvus du pouvoir de l’écriture et
de cette intelligence qui furent siens.
Je suis né en 1947 et
j’ai habité le 94 de la rue de Lyon. Il s’en est fallu de si peu pour que je
remonte la rue Aumerat, ou la rue de l’Union, à ses côtés, bavardant en
camarades ou se confiant entre amis. C’est pour moi l’histoire d’un grand
rendez-vous manqué, pour être né trop tard…” Luc Demarchi, The Dissident ( Dossiers)
Le Camus auquel est
sensible Luc Demarchi, et qui le passionne, son Camus, c’est le Belcourtois du
93, rue de Lyon, dans son humilité et dans sa simplicité. C'est l'enfant de
Belcourt, dont il se sent particulièrement proche pour être né, et pour avoir
vécu son enfance, dans ce même quartier d'Alger, au 94 de la même rue. Comme un
signe, le hasard l'a amené à vivre près de Lyon, ville qui possède aussi un
quartier de Bellecour...
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