"Il y a quelque chose de plus doux, en tout cas de moins violent, dans la désignation d’une personne comme étant limite plutôt qu’en état limite, et plus encore si on la dit borderline. Lorsqu’elle est simplement limite, on a l’impression qu’elle n’a pas encore basculé de l’autre côté, qu’on peut encore la rattraper, voire l’aider. Au-delà, c’est la pathologie, la camisole chimique. Ces gens qui seront peut-être nous un jour, mais qui sont un autre en attendant, sont au cœur d’un roman et d’une enquête. Le deuxième roman de Sylvie Le Bihan Là où s’arrête la terre (288 pages, 18,50 euros, Seuil) a les mêmes qualités que L’Autre, le précédent qui explorait la descente aux enfers d’une femme déstabilisée par un mari pervers narcissique. Cruauté, violence, cynisme. Le tout dans un style sec, sans compromis ni métaphore, oppressant, dur. La trame est aussi banale, ce qui n’en est que plus effrayant : le trio infernal. Le mari, la femme, l’amant. Air connu. Qu’en faire d’autre que ce qui a déjà été fait tant de fois ? Tout aurait pu commencer par un verbe : partir, assorti d’un mot de Paul Morand : partir, ce rêve de bon projectile. Sauf que là c’est de fuir qu’il s’agit. Un couple est marié depuis six ans. A la faveur d’une crise, elle lui avoue qu’elle le trompe depuis trois ans, un danois pilote automobile ; désabusée, elle rejoint son amant au grand hôtel de la Porte Maillot mais là, perdue, au lieu de monter les étages, elle s’arrête au bar boire une verre et engager la conversation avec un type qui paraît aussi paumé qu’elle. Il est aussi provincial et VRP qu’elle ne l’est pas. C’est peu dire qu’ils ne sont pas du même monde. Que faire alors ? Fuir ensemble une vie que l’on vit pas mais […]"Pierre Assouline, La République des Livres
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